L’Institut Montaigne vient de publier un rapport « Business Schools : rester des champions dans la compétition internationale » que l’ensemble des média spécialisés ont qualifié de démesurément alarmiste.
Un rapport qui vient s’ajouter aux nombreux autres qui depuis quelques années attaquent inutilement les Business schools françaises. Cette fois ci elles seraient « au bout d’un modèle ». Alors que tous les indicateurs démontrent strictement le contraire : « La Grande-Bretagne et la France sont les deux places fortes de l’enseignement au management européen », constate le FT après la publication récente de son classement. Erreur de périmètre, alarmisme de mauvais aloi, diagnostic et recommandations convenus.
Erreur de périmètre d’abord. Le rapport nous dit qu’il traite des « 85 écoles supérieures de commerce et de gestion reconnues et habilitées par l’État à décerner un diplôme de niveau master ». Erreur de chiffre : le Ministère de l’Enseignement Supérieur autorise actuellement seulement 47 établissements d’enseignement technique privé et consulaire à délivrer un grade master et non 85 (cf. Bulletin Officiel spécial du 24 juillet 2014.). Ensuite en annexe 1 on nous présente la carte des « grandes écoles de commerce françaises » qui ne reprend que les 27 écoles gérant les concours BCE, Ecricome et FBS. Quel est donc le vrai périmètre de ce rapport : 85 écoles? 47 ? 27 ?
En fait, le périmètre de l’étude est encore plus étroit puisqu’il ne traite que des 5 ou 6 plus grandes écoles françaises. Comment peut-on traiter du sujet « les Business Schools françaises » en n’intégrant dans ses préoccupations que les plus grandes, qui par ailleurs n’ont pas besoin de cela tant elles connaissent leur chemin ? Cette erreur explique en grande partie les problèmes de ce rapport.
Si les auteurs avaient considéré les 91 Ecoles de Commerce dont un des diplômes est visé qui forment quand même 101.000 étudiants (cf. Ministère – rentrée 2013) le travail eut été différent. Il est temps d’intégrer l’ensemble des Ecoles quand on veut travailler sur l’avenir des Business Schools françaises en n’oubliant pas l’Université.
Alarmisme de mauvais aloi ensuite entraînant de mauvaises solutions. Tous les média l’ont relevé. La sévérité de ce rapport à l’égard des business schools françaises ne correspond à aucune réalité. Et donc très logiquement ce mauvais diagnostic entraîne les auteurs du rapport à formuler de mauvaises solutions, des solutions non opérationnelles. Ils suggèrent par exemple de faire appel à l’Etat pour financer les Ecoles… proposition pour le moins rêveuse quand on voit que l’Etat ne peut même pas financer les Universités qui sont de sa responsabilité directe. Par ailleurs le rapport part du postulat que les ESC auraient bénéficié d’un monopole de l’enseignement de la gestion ; monopole que les IAE auraient fait tomber récemment.
Pendant les 22 ans où j’ai été Directeur général adjoint ou Dg de deux Business Schools je ne m’en étais jamais aperçu ! C’est faire injure aux IAE et mal les connaître que d’affirmer que leur efficacité ne date que de quelques années.
Et les auteurs vont encore plus loin en suggérant que, puisque les Business Schools ne vont pas bien aujourd’hui et iront mal demain, la solution réside dans une alliance avec les Universités. C’est méconnaître une évidence : la plupart des Business Schools collaborent déjà avec l’Université. Par contre ils restent cois sur la méthode pour y parvenir. Dommage. Encore un vœu pieu « y a qu’à… faut qu’on… » Et quand ils osent une recommandation c’est pour nous dire qu’il faut que les « IAE déchargent les business schools d’une partie des coûts de gestion et d’encadrement de la recherche »…. La recherche serait-elle un fardeau pour les Business Schools ? Ont-elles la volonté de la sous-traiter ? Je ne le pense pas tant elles ont compris que cette activité constitue une des conditions de la qualité pédagogique ; même si certaines doivent l’organiser différemment.
Enfin on aurait pu s’attendre, s’agissant de l’Institut Montaigne, à des recommandations originales de nature à bousculer, à faire bouger les lignes.
Il n’en est rien. Ne sont présentées que de vieilles idées, de vieilles lunes qui sont ressassées depuis des années, qui ne présentent aucune originalité.
Ici encore de terribles incohérences. Par exemple sur le financement. D’un côté on nous dit que les Business Schools ont des problèmes de financement. Et en même temps on leur suggère de proposer la gratuité pour les élèves boursiers…
Les auteurs reviennent une nouvelle fois sur le vieux serpent de mer : les Business Schools n’intègrent pas assez de boursiers ; il faut bien leur donner mauvaise conscience à ces directeurs inconscients qui réussissent ! Ce qui laisse imaginer les vilains Directeurs rayant à l’encre rouge tous les candidats issus de milieux défavorisés. Bien entendu il n’en est rien et tout le monde le sait : les élèves rejoignent une Ecole après un concours qui ne sélectionne pas ses candidats selon des critères financiers. Les auteurs ont oublié notamment que le second cycle de l’enseignement général ne compte que 18% de boursiers. Bizarrement le chiffre est identique dans les Business Schools. Ils ont aussi oublié tous les dispositifs d’aide proposés par les Business School allant jusqu’à la gratuité.
Je n’ai jamais vu un Directeur exclure un étudiant pour des raisons financières.
On aurait attendu des propositions sur le défi posé par l’enseignement qui devient gratuit avec le digital, sur la nouvelle concurrence des cabinets de conseil, sur la manière pour les Ecoles françaises situées après le top-ten à exister parce qu’elles ont une vraie utilité etc…
Quelle est la faute originelle de ce rapport ? Rester sur l’idée qui empêche automatiquement toute réflexion originale dans l’enseignement du management en France : puisqu’il est impossible d’allier l’excellence académique, la proximité avec les entreprises, la profitabilité, et l’employabilité, il faudrait d’une part faire des choix parmi ces composantes et surtout rester dans ce paradigme. Funeste erreur. Il faut briser les règles pour trouver des voies créatives.
Une belle occasion perdue de faire avancer vraiment la réflexion sur l’avenir des Business Schools françaises. Dommage. Mais il y en aura d’autres.
Philippe Lafontaine